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BIOTECHNOLOGIE ET DEVELOPPEMENT DE L’AGRICULTURE HAITIENNE

Par Thomas JACQUES

 

 

ThomasJACQUES

 


Mr.  Thomas JACQUES  est né le 02 octobre 1962,  marié et père de 4 enfants. Il détient une Maitrise en Economie Agricole. Il a occupé la fonction de Ministre de l'Agriculture, des Ressources Naturelles et du Développement Agricole d’Haïti  de mai 2012 à janvier 2015. Sous son Administration, la réforme du secteur Agricole a été lancée.  Il a surtout ouvert la voie à l'investissement privé dans le secteur agricole, au renforcement de l'agriculture familiale et au développement de l'entreprenariat agricole. Il a une longue expérience de travail direct avec l’administration publique haïtienne, le secteur des ONG et l’assistance technique internationale. 

 

 

I.                   L’Agriculture haïtienne et la situation socio-économique d’Haïti

Le secteur agricole d’Haïti contribue à environ 20% du Produit Intérieur Brut du pays. Il est pratiqué par un peu plus d’un million d’exploitations agricoles à travers le pays. Il constitue la principale source de revenus en milieu rural. Il occupe environ 60% de la population active. Il assure autour de 45% de la disponibilité alimentaire. Cependant, Haïti est le pays le plus pauvre de l’Amérique avec un seuil de pauvreté touchant près  de 60% de la population Haïtienne en 2020.

Selon des statistiques publiées par la FAO et citées par la Banque Interaméricaine de Développement, le rendement moyen agricole en Haïti compte parmi les plus bas dans la région Amérique Latine - Caraïbes. Une forte proportion de l'agriculture se fait dans les mornes à fortes pentes suivant des pratiques culturales non appropriées. Les pertes céréalières post-récoltes varient entre 15% et 35%  en raison de l'insuffisance de structures de stockage et de transformation de produits agricoles. Le système national de santé animale et protection végétale est faible, occasionnant des pertes significatives de production et des opportunités ratées pour les exportations agricoles.

Cependant, Haïti a un potentiel agricole important, qui s’il est bien exploité,  peut contribuer grandement au développement économique du pays. A date, Seulement 80 000 ha de terre sont aménagés et irrigués par gravité sur 154 000 ha de terres irrigables. Les sous-secteurs pêche et aquaculture, le secteur de l’élevage et l’agro-industrie sont encore à un stade très peu développé et constituent des poches d’opportunités pour l’investissement privé.  Haïti a encore des réserves foncières se chiffrant à plus de 50 000 hectares localisées dans le Nord-est, l’Artibonite et le Plateau Central qui ne sont pas encore exploitées. Il y a une grande diversité de milieux agro-écologiques qui facilitent la mise en place d’une large gamme de systèmes de cultures.

En regardant les résultats obtenus par certains pays de la Caraïbe,  de l’Amérique Centrale et du Nord, dans l’utilisation de  la biotechnologie en Agriculture, l’on se demande s’il n’y a pas lieu pour Haïti d’investir dans la biotechnologie pour doubler la production agricole actuelle au lieu d’investir dans l’extension de la  superficie agricole qui nécessiterait des investissements lourds pour mettre en place les infrastructures nécessaires notamment les infrastructures d’irrigation. A raison des investissements de  10,000 dollars par ha d’aménagement d’infrastructures d’irrigation  selon certains ingénieurs spécialistes en irrigation en Haïti, il faut prévoir des investissements de l’ordre de 700 millions de dollars pour aménager 70,000 ha pour l’exploitation de nouvelles terres alors que les rendements agricoles sur  les 80000 ha déjà aménagés sont assez faibles. N’est-il pas nécessaires de se pencher sur les raisons qui expliquent les faibles rendements agricoles d’Haïti et prendre les dispositions pour y remédier avant même de se pencher sur l’extension du système irrigué ? La biotechnologie n’est-elle pas capable de contribuer à améliorer significativement la situation actuelle à un moindre coût ? C’est à ces questions que l’on va tenter d’apporter une réponse.

II.                Principales causes de la faible productivité agricole d’Haïti

Des défis liés à l’irrigation, à la disponibilité en fertilisants et semences, aux difficultés d’accès au crédit des exploitants agricoles, au manque d’accompagnement technique des agriculteurs, au poids de la sècheresse et des inondations  et enfin à la diminution continue des superficies cultivées constituent les principales causes structurelles de la faible productivité agricole d’Haïti. Mais ce ne sont guère les seules explications de cette situation. Il faut prendre en compte les choix politiques favorisant l’importation de produits agricoles au détriment de la production agricole, l’exposition du secteur agricole à la concurrence internationale rude à partir des années 90 par la baisse des tarifs douaniers.

III.             Définition et importance de la biotechnologie

Selon la littérature scientifique, La biotechnologie met en jeu l’utilisation des organismes vivants au bénéfice des humains. Cette utilisation a deux composantes: (i) la culture de cellules et de tissus, (ii) les techniques de l’ADN, dont le génie génétique.

La culture de tissus végétaux et de cellules est une technologie relativement peu coûteuse, facile à apprendre, à appliquer et largement utilisée dans de nombreux pays en développement. La culture des tissus végétaux est un outil utilisé pour l’amélioration végétale; il est en particulier utilisé pour:

  • la propagation en grande quantité d’un stock d’élite;
  • la production de plantes indemnes de virus au moyen de la culture in vitro de méristème;
  • la sélection de variants somaclonaux pour des caractères particuliers et leur multiplication;
  • la possibilité de surmonter les barrières à la reproduction entre espèces et le transfert de caractéristiques désirables aux cultures par croisements larges;
  • la possibilité de transférer des gènes par fusion de protoplasme;
  • l’utilisation de la culture d’anthère pour obtenir des lignées homozygotes dans les programmes de sélection;
  • la conservation in vitro de germoplasme végétal.

Le génie génétique c’est-à-dire les technologies de l’ADN utilise les toutes nouvelles connaissances des gènes et du code génétique pour améliorer les cultures, les arbres, le bétail et les poissons.

  • l’utilisation de sondes d’ADN spécifiques des pathogènes et ravageurs, pour leur identification, leur suivi et leur contrôle.
  • Les marqueurs d’ADN sont particulièrement utiles pour la construction de cartes de gènes afin de les isoler.

Cette technologie, qui n’est pas controversée, est utilisée pour renforcer l’efficacité des programmes conventionnels de sélection végétale et pour caractériser les ressources génétiques en vue de leur conservation et de leur utilisation.

Une importante caractéristique de la transformation de l’ADN est sa capacité de transférer les gènes, y compris du règne animal au règne végétal et vice versa, aidant ainsi à augmenter les pools de gènes de tous les organismes, dont des cultures.

Des progrès technologiques permettent aujourd’hui la manipulation de caractères très  utiles, tels que le rendement et  la tolérance à la sécheresse, à la salinité, à la chaleur, au froid, au gel, et à la toxicité aluminique (Zhang et al., 1998). L’amélioration de la tolérance au stress, en renforçant la stabilité du rendement tout en remodelant la photosynthèse par ingénierie génétique, peut accroître le rendement potentiel des plantes. Le transfert des gènes de la photosynthèse du maïs vers le riz a donné expérimentalement une augmentation de 35 pour cent du rendement du riz comparé aux lignées génétiquement semblables (Maurice et al., 1999).

Beaucoup de pays similaires dans la région possèdent de  bonnes capacités en matière de biotechnologie (Mexique, Brésil, Argentine, Costa Rica et Cuba). La recherche conduite au Mexique sur la biologie moléculaire de la tolérance des plantes à l’aluminium ouvre de grandes perspectives dans ce domaine. Depuis 1998, le Mexique a évalué en plein champ des cultures GM de maïs, de coton, de pomme de terre et de tomate. (Amstalden Sampaio, 2000). Le Brésil est le premier parmi les pays en développement à avoir déterminé la séquence du génome d’une lignée bactérienne de Xylella fastidiosa, qui attaque les orangers. Ce projet de séquence fut en partie financé par l’industrie brésilienne de l’orange (Simpson et al., 2000; Yoon, 2000).

Le Costa Rica utilise la biotechnologie pour la conservation et la caractérisation de la biodiversité. Ce pays cherche aussi à réduire l’utilisation de produits chimiques toxiques en contrôlant les maladies de la banane (Sittenfield et al., 2000). Cuba est, pour les pays en développement, un modèle d’application de la biotechnologie au développement agricole et à la médecine. (Lehman, 2000).

Nous n’allons pas beaucoup insister sur les impacts tels que  les  revenus importants générés par l’adoption des cultures développées par la biotechnologie, l’amélioration de la qualité nutritionnelle et médicale, l’utilisation et la réhabilitation des terres marginales et dégradées, la réduction de  l’envahissement des environnements marginaux, le remplacement des intrants. Nous allons surtout parler de préférence dans le cadre de cet article des impacts immédiats des cultures de tissus et de la micro propagation pour l’agriculture haïtienne.

En effet, la micro propagation permet la production et la distribution de variétés locales clonées indemne de maladies et multipliées végétativement. Les cultures concernées sont la banane, le plantain, le manioc, l’igname la pomme de terre, la patate douce, l’ananas, la canne à sucre, de nombreux arbres fruitiers tels que le pommier, le poirier, le prunier, le dattier, le manguier et le litchi, et de nombreux arbustes ornementaux et fleurs. Les avantages de la micropropagation sont immédiats et la disponibilité en main-d’œuvre à bon marché dans notre pays  les rendrait  très compétitifs dans l’utilisation de cette technologie. La micropropagation du bananier et de la canne à sucre a créé des emplois ruraux à Cuba. En Inde, plus d’une centaine d’entreprises privées de micropropagation sont créés et exportent des propagules de plantes ornementales vers l’Europe. A Shandong en Chine, la micropropagation de plants de patate douce indemnes de virus a permis une augmentation moyenne de rendement d’au moins 30 pour cent, et fournit un taux de rentabilité interne de 202 pour cent et une valeur nette de 550 millions de dollars EU (Fuglie et al., 2001). Au Kenya, les plantules de banane indemnes de maladies ont fortement augmenté les rendements qui sont passés de 8-10 à 30-40 tonnes/ha (Anonyme, 2000).

La micropropagation est une réponse à l’une des contraintes de faible rendement agricole en Haïti et un partenariat avec  Cuba, Mexique et Costa Rica en Biotechnologie peut aider à l’implication de la biotechnologie dans l’agriculture haïtienne.

IV.              Atouts et Opportunités pour l’implication de la biotechnologie dans l’agriculture haïtienne

Il existe un ensemble d’opportunités que devrait profiter Haïti, si ce pas ne veut pas rater cette révolution de l’agriculture mondiale.

  • La région Amérique Latine et Caraïbes a beaucoup bénéficié du réseau REDBIO patronné par la FAO, qui réunit dans un seul réseau d’information 619 laboratoires appartenant à 32 pays.
  • Il existe dans la région Amérique- Caraïbes un certain nombre de pays qui possèdent de bonnes capacités en matière de biotechnologie (Mexique, Brésil, Argentine, Costa Rica et Cuba).
  • Sous la Présidence de Jovenel Moise, cinq (5) centres de Germoplasme ont été installés dans le pays notamment dans le Nord, le Nord-Ouest, le Sud, les Nippes et la Grande Anse. Ces centres ont pour mission de produire chacun près 4.5 millions de plantules par an qui doivent être  distribuées dans les communes de chaque département. Il doit servir aussi d’infrastructure de stockage et de conservation à long terme de semences ou de matériel végétal de haute qualité génétique et en quantité suffisante pour satisfaire les besoins en semences forestières et fruitières.
  • L’existence de professionnels et d’institution qui ont une certaine maitrise de la biotechnologie dans le pays.
V.                 Conclusions

La FAO estime, qu’au cours des 30 prochaines années, plus des trois quarts de la croissance de la production végétale nécessaire pour satisfaire les besoins alimentaires devront provenir des augmentations de rendement. Cela ne sera possible qu’avec l’aide d’innovations technologiques importantes. Haïti a besoin de faite un saut technologique pour augmenter sa production agricole et satisfaire les besoins alimentaires de sa population par une politique d’amélioration de la productivité sur les surfaces agricoles déjà aménagées. Les outils de la biotechnologie offrent de telles possibilités d’innovation. Pour cela, Haïti devra poser les actions suivantes :

  • A l’instar des autres pays de la région, Haïti devra élaborer et mettre en application une politique publique de biotechnologie agricole qui crée les conditions qui permettent de garantir l'adéquation de la biotechnologie aux priorités fixées pour l'agriculture. Des décisions urgentes sont à prendre dans deux domaines particuliers de la biotechnologie : la biosécurité et les droits de propriété intellectuelle. Il faut mettre en place de stratégies novatrices et un partenariat des secteurs public et privé pour financer des programmes de biotechnologie. La Direction de l’innovation agricole qui a été créée en 2013-2014 au Ministère de l’Agriculture, des Ressources Naturelles et du Développement Rural (MARNDR)  doit être au cœur de cette politique pour intégrer les travaux de recherche en biotechnologie aux priorités de la politique agricole et à la recherche agricole du pays.
  • Haïti doit rechercher et développer un partenariat en fonction de ses priorités avec le réseau de coopération technique sur la biotechnologie végétale patronné par la FAO pour prendre connaissance des résultats des travaux qui sont réalisés à travers les  619 laboratoires du réseau et ainsi bâtir un programme de recherche qui tient compte des travaux réalisés dans d’autres pays qui sont proches de notre réalité. Ce partenariat devra s’étendre à des coopérations bilatérales  avec les pays qui possèdent déjà de bonnes capacités en matière de biotechnologie (Mexique, Brésil, Argentine, Costa Rica et Cuba).
  • Haïti devra doter au moins deux centre de germoplasme déjà installées, un dans le grand  Nord et un autre dans le grand Sud d’équipements de laboratoire nécessaires pour la production, la multiplication végétative et la distribution de variétés locales clonées indemne de maladies. Les cultures concernées sont la banane, le plantain, le manioc, l’igname la pomme de terre, la patate douce, l’ananas, la canne à sucre ainsi que d’autres arbres fruitiers comme le prunier, le dattier, le manguier et le litchi, etc. qui sont des cultures et des arbres fruitiers du terroir.
  • Le partenariat Public-Privé avec les professionnels et les institutions du pays  qui ont une certaine maitrise de la biotechnologie doit  être développé. Il existe de plus en plus de professionnels haïtiens qui retournent au pays avec des spécialisations en biotechnologie. Ils veulent se mettre au service de leur pays mais ne trouvent pas l’encadrement nécessaire et sont donc contraints de laisser le pays pour aller mettre leur talent au service d’autres pays alors que le pays a besoin de ces types de compétence. Un cadre de collaboration doit être défini entre le secteur public et le secteur privé dans le cadre  de l’élaboration de la nouvelle politique publique de biotechnologie agricole d’Haïti.